A partir du troisième degré du cycle fondamental, nous axons les séances sur la prétérisation. Nous travaillons sur notre passé pour nous le réapproprier, et accorder toute sa place au positif. Il n’est pas question d’occulter le négatif, mais de lui donner sa juste place. Nous rééquilibrons ainsi le passé. Oui c’est arrivé mais pas que ça.
Dès le début j’ai été très dubitative et même sur la défensive avec ce troisième degré. J’ai senti une résistance, qui je l’avoue est encore très présente. Lorsque je parle de moi, j’informe que je n’ai pas de souvenirs. C’est un fait, je ne le remets pas en doute. Disons plutôt que c’est un constat. Je ne dis pas que je n’ai aucun souvenir. C’est plutôt que j’ai très peu de souvenirs. Et cela me convient parfaitement. Je n’ai jamais perçu mon absence de souvenirs comme problématique. Je ne suis pas quelqu’un de nostalgique qui se retourne. Je préfère m’inscrire dans un présent pour construire un avenir. Ce qui est plus compliqué, c’est lorsqu’au détour d’une conversation arrive la phrase : « tu te souviens … ». C’est donc plus dans un contexte social que mon absence de souvenirs interpelle. Et où moi je ressens un malaise bien que cela m’ait toujours convenu. Cela ne m’a jamais empêché de savoir qui étaient les personnes importantes pour moi et de me rappeler les étapes, que j’estimais importantes ou marquantes (et pourtant parfois cela peut être des détails ou des choses et là je ne m’en souviens pas), de ma vie. Mais c’est compliqué à le faire comprendre surtout quand on nous pose la question et qu’on ne se souvient pas. Très souvent, je perçois une interrogation dans le regard de l’autre. Comme si mon absence de souvenirs remettait en doute l’attachement que j’ai envers cette personne. En effet, c’est ce qu’on vit avec les personnes qui crée les souvenirs et donc l’attachement. Or si on ne peut justifier de souvenirs comment faire comprendre la force de l’attachement. Et c’est souvent la question que l’on me pose : « mais comment sais-tu que tu aimes cette personne si tu n’as pas de souvenirs ? », « comment fais-tu pour reconnaître les personnes ? » Étranges questions auxquelles je n’ai jamais de réponse car je ne saurai pas expliquer comment cela fonctionne. C’est, tout simplement.
J’entends parfaitement l’importance du passé, de l’histoire familiale, de savoir d’où on vient. Moi-même je souhaite connaître l’histoire familiale. Je me rappelle (premier paradoxe : résistance au souvenir et pourtant je vais en raconter un) dans l’enfance avoir eu des séances chez un kinésithérapeute qui m’a appris à respirer. En effet, je respirais par le thorax et non par le ventre, ce qui bloquait totalement mon corps. Et cette difficulté à respirer était directement liée à l’absence de famille (grand-parents, oncles, tantes, cousin.es,…). Pour autant je n’ai jamais donné d’importance pour mon passé propre. Lorsqu’on a commencé à travailler ce degré, j’ai interrogé des amies pour comprendre en quoi les souvenirs étaient importants. La première réponse a été : « On ne se pose même pas la question. Ils sont là. » Puis, une amie m’a expliqué qu’il lui arrivait de se poser dans le canapé par exemple et de faire appel à ses souvenirs, comme cela, pour le plaisir. Ce n’est pas du tout une habitude que j’ai. Avec les quelques souvenirs que j’ai, il ne me vient jamais à l’idée de faire remonter le souvenir pour le revivre. Il en est de même lorsque je suis face à une photographie. Je regarde ces photographies mais je ne ressens pas d’émotions ou de sensations corporelles liées à ces photographies qui pourtant se rattachent à un souvenir précis et souvent fort. Peut-être tout simplement que je ne suis pas quelqu’un de nostalgique. J’ai vécu ces moments mais étant profondément dans l’instant présent (sans projection ni retour au passé), les souvenirs ne se sont peut-être pas ancrés comme on s’y attend.
Néanmoins, le troisième degré nous amène à aller dans notre passé et cette navigation se poursuit lors du quatrième degré. Au début, j’ai donc fait consciemment intervenir des photographies. Je n’arrivais pas à faire remonter des sons, des odeurs, à donner corps à la photographie liée à un souvenir, qu’il soit associé à un événement de la veille ou à des souvenirs plus anciens comme mon adolescence ou mon enfance. En conséquence, mes phéno-descriptions peuvent se résumer ainsi : « pas de souvenirs ». Et vraiment, avec le recul que me permet le mémoire, je ressens le blocage. A la fois sur ce travail de prétérisation et aussi une certaine déception que rien ne se passe quand on fait les séances. En me relisant, je ressens les fortes attentes que je plaçais (tout en étant persuadée que cela ne changerait rien) dans ce troisième degré. Et c’est vrai que c’est compliqué. Je me suis retrouvée confrontée à des phéno-descriptions où chacune témoignait de leurs émotions face à ces souvenirs positifs qui remontaient. Certes nos formatrices.eurs nous rappelaient que nous devions aller à notre rythme, qu’on ne peut pas comparer nos expériences, ni notre parcours dans une formation qui est pourtant la même car nous sommes chacune unique, avec une histoire unique. Mais c’était presqu’un automatisme. Je me sentais perdue, à l’écart et mon mental prenait très vite le dessus. Il m’était très difficile de me laisser aller puisque pour moi le souvenir n’est pas dans ma vie, dans mon être. Et pourtant je pense qu’il y avait une attente de faire remonter certains souvenirs, certains visages surtout. Et finalement, l’application de la méthode et notamment la répétition ont fait que quelque chose se débloque. J’ai des souvenirs qui apparaissent. Cela a commencé d’abord par des détails. De petits détails à droite à gauche, comme des minis flashs. Ce pouvait être des mains, une tasse de chocolat chaud, une coupe de cheveux. À ce jour, les visages, les voix, les odeurs ne me reviennent pas. Ni les sensations corporelles que j’ai pu vivre. Le seul sens qui est sollicité est finalement celui de la vue. Ce qui me déstabilise vraiment c’est que maintenant j’ai ces petites brides qui apparaissent inopinément, comme ça et sans rapport direct (ou même indirect avec ce que je suis en train de faire). Par exemple, la dernière fois, j’étais dans mon rituel du soir dans la salle de bain et m’est apparu une coupe de cheveux que portait un de mes amoureux quand j’étais une jeune adolescente. Une autre fois, en pleine discussion sur les musiques de notre adolescence avec ma meilleure amie, j’ai un souvenir un peu plus long qui m’est apparu : je suis une jeune adolescente (je dirais 12 ou 13 ans), je suis sur un chemin, je longe des maisons. Il me semble que je partais de chez un ami et que je rentrais chez moi. Cela reste très flou. Je me rappelle du beau temps, très vaguement de cet enchaînement de maison. Et ces souvenirs qui m’apparaissent me rendent vraiment perplexes. Et bien sûr me questionne. A quoi me servent-ils ? J’entends parfaitement que le travail sur la prétérisation est pertinente quand le passé a été difficile, très marquant. Le fait d’y retrouver un passé positif et de redonner une juste place à ces événements négatifs sont à mon sens très importants dans la construction de soi. Néanmoins, je me vois comme quelqu’un qui n’est pas nostalgique et ayant eu une enfance heureuse, même si j’ai eu quelques moments difficiles. Revenir dans le passé ne me parle pas. D’autant plus que je me sens très heureuse dans mon présent et que j’arrive à transmettre cette joie dans mes futurisations. Les souvenirs négatifs que j’ai pu ancrer en moi ne prennent plus autant de place, n’ont plus autant d’impact dans ma vie et surtout ne m’ont jamais fait dire que j’ai eu un passé malheureux. Quand je parle de mon passé, c’est la joie qui transpire. Les événements malheureux n’étaient que des moments courts.
Finalement, je me dis que la question est simplement de se demander : que fait-on de nos souvenirs ? Soit ce sont de petits cailloux que nous mettons dans une poche pour les accumuler et par la suite s’en servir pour nous construire ou simplement construire quelque chose de positif. Soit nous mettons ces souvenirs dans un sac à dos car on ne veut plus les voir mais ils nous appartiennent, ils sont là. Mais le fait qu’ils soient dans le dos marque la douleur, le poids qu’ils ont sur nous. Alors autant réduire le sac à dos et l’intégrer aux autres petits cailloux pour construire ce passé plus nuancé ou même finalement franchement positif. Qu’est-ce que je perçois de ce que j’ai appris malgré et avec moi de la vie. Je suis le fruit des années passées mais aussi de tous mes potentiels d’aujourd’hui. Et par le retour dans mon passé, je redécouvre ce qui a fait positivement mon histoire et ce que je suis aujourd’hui. Et c’est un peu ce qui m’inquiète. Que le sac à dos grossisse. Quand les souvenirs apparaissent lors d’une séance, la méthode caycédienne, le cadre, le terpnos logos font que les souvenirs sont forcément positifs. Je suis plus préoccupée par les souvenirs qui apparaissent de manière sporadique. Quels sentiments feront-ils naître en moi, leur donnerais-je leur juste place ou tendrai-je vers une rumination plus sombre ? Je suis assez confiante de la méthode caycédienne. J’ai les outils qui m’aideront à relativiser (que ce soit des séances complètes ou simplement la technique-clef du sophro-déplacement du négatif), à ne pas laisser engrammer le négatif. Mais le sentiment d’inquiétude reste une petite voix, toute discrète mais bien présente.
Ce que contient notre mémoire et qui sincérité profondément en nous que nous le voulions ou pas est une phénoménale richesse, d’autant que cela entre mécaniquement en résonance sur ce dont sont porteuses chacune de nos cellules humaines en terme de mémoires anciennes, là aussi, que nous le voulions ou non. C’est accessible à tout moment et ce sont des voyages Fantastiques qui apportent beaucoup, car cette mémoire n’est pas constituée que d’un patrimoine génétique fonctionnel, loin de là…
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